samedi 20 avril 2013

-ZOCA: La vie et le jiu-jitsu dans les deux Brésil.

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Je fus dans un premier temps méfiant quand le type au teint clair qui tournait autour de ma table du Beachside Café sur l'Avenue Atlantica me dit "good morning" en anglais. J'avais déjà un kimono Krugans et un Machado et je n'avais besoin de ne rien acheter d'autre, particulièrement rien qui pouvait être trouvé dans un magasin approvisionnant les "gringos" (touristes). Mais vu qu'il était là, je décidais de voir ce qu'il avait à m'offrir. Contrairement aux Thais et aux Coréens, les Brésiliens ont tendance à être assez cools et compréhensifs si ils se rendent compte si que ce qu'ils ont à vous vendre ne vous intéresse pas. Ils se rendent également très bien compte des problèmes que connaît le Brésil et ne voient pas la raison de nier l'évidence face aux visiteurs étrangers.

Je demandai donc à Alexandre car c'était son nom, s'il avait entendu parler de la famille Gracie. "Mais bien sur, man" ; me dit-il. Au Brésil on a pas beaucoup de "winners" ; donc à partir du moment ou quelqu'un gagne au Japon, tout le monde le connaît ici. En fait me dit-il : "Le type avec qui je travaille au magasin pratique le jiu-jitsu, il est ceinture noire et connaît Rickson Gracie personnellement". Si cela me paru douteux au premier abord, Je me dis qu' a Rio, c'était bien possible.


Zoca

C'était Zoca. Il était allé à l'Anglo-American High School à Botafogo avec Rickson.

Zoca connaît Rickson. Pourquoi pas ? Rio est une petite ville et dans le mileu du jiu-jitsu tout le monde connaît tout le monde, même si parfois on ignore le nom réel des gens. Par exemple le nom réel de Zoca est Mario, mais Rickson ne le sait pas.

Comme Rickson, Zoca avait appri le judo chez George Mehdi à Ipanema aux début des années 80. Ils voulaient tous apprendre le judo afin de pouvoir participer au compétitions de judo, me dit Zoca. Les mecs du jiu-jitsu voulaient quelque chose de plus stimulant que répéter des techniques de défenses contre des attaques qui ne se produiraient probablement jamais. Bien que tourner ai toujours été un élément de l'entraînement du jiu-jitsu, tout ceux avec qui j'ai discuté s'en rappellent (bien que je ne l'ai pas spécifiquement demandé à Alvaro Barreto, qui est dans le milieu depuis 40 ans, ou à Mehdi qui s'était entraîner à l'académie d' Helio et de Carlos sur Rio Branco de 1949 à 1952) il est clair qu'a cette l'époque le jiu-jitsu était loin d'être le sport organisé tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Zoca était du même avis que les autres à propos de Mehdi: C'était quelqu'un de très fort, craint par tous, et comme cela me l'avait déjà été répété plusieurs fois c'était une véritable encyclopédie humaine de techniques de soumission (Mehdi m'avait dit qu'il avait appris ses techniques au Japon pendant les années 50). Est il possible que plusieurs, probablement même la plupart des techniques de jiu-jitsu employées par les Gracie et leurs étudiants aient été introduites par les types qui les ont apprises de Mehdi ? Demandais-je à Zoca. "Très possible" ; me dit il.

Zoca est d'accord avec beaucoup d'autres qui n'enseignent pas le jiu-jitsu professionnellement que le boom a été une bénédiction mitigée. Des mecs apprennent quelques techniques, pensent tout à coup qu'ils sont les rois de la plage, commencent à enseigner aux enfants dans les banlieues, se bagarrent dans la rue. Ce n'est pas bon "Bien sûr, tout le monde veut se tester, voir si il est capable de placer les techniques qu'il connait, mais il faut le faire dans le dojo avec un adversaire qui est prêt et disposé à faire de même. Attaquer un mec naïf dans la rue ne prouve rien".

Il ne visait personne en particulier, mais le nom de certains combattants de Carlson sortait de temps à autres. "Bien sûr, Fernando Pinduka était un "heroi" sur le "ringue", mais il avait un caractères spécial". Pourquoi ? Il avait tendance à aimer rosser les gens. Le succès des combattants du jiu-jitsu dans le Vale Tudo a rendu le jiu-jitsu populaire, mais ce n'est pas très bon que les jeunes essayent d'imiter ces gars là. Le Brésil a déjà assez de problèmes comme ca... dit-il.


Zoca avait obtenu un MBA (Master of Business Administration) à New York et y avait travaillé pour Merrill-Lynch avant de retourner à Rio. Il parlait couramment l'anglais et avait beaucoup à dire sur l'économie du Brésil et les ses problèmes sociaux.


Les pauvres

Le principal problème est qu'il y a trop de pauvres. Ces gens sont pauvres du fait de l'époque et l'endroit où ils sont nés, et ça n'aide pas les choses que les politiciens et autres gens riches et corrompus essayent de leur soutirer le peu qu'ils possèdent. Quand de l'argent est alloué pour quelque chose comme un projet d'irrigation dans le nordeste, les pauvres n'en bénéficient pas, car les riches propriétaires fonciers siphonnent les fonds, au sens figuré, et parfois l'eau aussi, littéralement. Qu'est-ce qui pourrait les arrêter? A partir du moment ou vous avez de l'argent au Brésil, vous pouvez tout vous permettre, y compris le meurtre. Le tribunal via votre avocat mettra le dossier "en attente" dans un tiroir jusqu'à ce que toute personne qui s'en soucie abandonne, oublie ou disparaisse... Ou alors vous pouvez payer la police, en premier lieu. En fait, vous pouvez même les engager pour faire le coup pour vous. "Cela vous parait cynique" me dit il, "Mais c'est vrai".

Parfois, la police anticipe plutôt que de réagir aux tendances criminelles en tuant tout simplement des gens, des enfants des rues en général, qui pensent ils peut-être un jour seront un problème. Bien sûr, ils ont raison. Ces enfants seront probablement un problème. Sinon, comment vivront-ils? [Tobias Hecht fait valoir que la police ne tue plus les enfants des rues. Les enfants des rues se font toujours tuer en nombre extraordinairement élevé, mais ils sont habituellement tués par d'autres enfants des rues, parfois avec un peu l'aide indirecte de la police]. La police fait également régulièrement des descentes dans les favelas à la recherche des barons de la drogue. Invariablement, le lendemain les journaux publient des photos de cadavres jonchant le sol et recouverts d'une couverture. Les trafiquants de drogue sont généralement assez chanceux, assez intelligents, ou assez bien informés pour ne pas être parmi eux. La police voit les choses différemment. Ceux qui ont été tués avaient sans doute déjà commis un crime dans le passé, et si ils n'en avaient pas encore commis, ils en commettraient certainement un dans l'avenir...

En fait selon les personnes qui y sont allées, la plupart des favelas sont en fait des endroits assez sûr, sauf lorsque la police débarque...


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Les gens pauvres n'ont pas grand chose, mais ils ne semblent pas malheureux, dis-je. En moyenne l'habitant des favelas de Rio de Janeiro de la Zone Sud a une qualité de vie meilleure que la moyenne des gens de la classe moyenne à Tokyo, à bien des égards, il me semble. Je vois plus de gens à l'aspect misérable en un jour au Japon que j'en ai vu en 32 semaines au Brésil. "Peut-être dans la zone Sud", me dit Zoca, mais pas dans la plupart du reste du Brésil, Les pauvres gens vivent entassés dans des baraques fragiles et s'entassent dans les favelas, car cela ne coûte pas cher de vivre dans une favela. Ils ne peuvent pas se permettre mieux parce qu'ils n'ont pas d'argent, vu qu'ils ne peuvent obtenir de bons emplois bien rémunérés parce qu'ils n'ont pas assez d'éducation et ils ne peuvent pas obtenir assez d'éducation parce que leurs écoles sont "de la merde." Zoca et Alexandre, qui s'était joint à la discussion, estiment que les enseignants des écoles publiques gagnent entre 300-500 reais par mois, tandis que les enseignants des écoles privées, comme ceux qui ont enseignés à Zoca et Rickson à l'école anglo-américaine, s'assurent entre 1800-2000 reais. "Vous pensez qu'un bon professeur va enseigner dans une école de favela si il peut enseigner dans une école privée?" Demande rhétoriquement Zoca. Il dessine un schema et le commente, «Le Brésil est deux pays. L'un est petit riche et blanc et l'autre est grand pauvre et noir." Zoca n'était pas la première personne à faire cette observation, et il ne sera certainement pas la dernière. La majorité pauvre du Brésil ne sera plus pauvre, selon certains analystes, lorsque les gens riches du Brésil renonceront volontairement à leur monopole sur les richesses de la nation. Ce ne serait pas facile à faire, même s'ils voulaient le faire. Selon d'autres, si cet événement improbable avait lieu un jour, il aurait tout simplement pour conséquence de rendre tous les Brésiliens pauvres, et les pauvres, paradoxalement, encore plus pauvres qu'ils ne le sont aujourd'hui, et probablement plus malheureux.


Sombre vision

Comme la plupart des autres Brésiliens, Zoca semblait presque prendre plaisir à peindre un tableau sombre du paysage socio-économique Brésilien. Il semblait assez crédible, mais une personne riche peut elle vraiment savoir ce qu'est la vie d'une personne pauvre? Peut-être, si elle même autrefois a été pauvre aussi, comme dit Zoca, devenir riche est un fantasme plus qu'une possibilité. De jeunes hommes pensent qu'ils peuvent y arriver en devenant un héro du "futebol", sans se rendre compte que les quelques personnes qui jouent au ballon assez bien pour mériter une place dans une équipe gagnent en tant que joueur moyen de futebol moins de 1.000 reais par mois. Ce n'est pas mal, mais ce n'est pas beaucoup non plus, et la carrière des joueurs de football est brève. Les meilleurs emplois disponibles pour la plupart des jeunes hommes de race noire sont: le vole de voiture, la vente de drogue et l'enlèvement et la séquestration de gens riches. "Il faut réelle capacité d'organisation pour réussir avec succès un "sequestrão", déclare Zoca. Le pire c'est que certains de ces gars-là pourraient réussir de bonnes choses dans le monde du business "légal" si ont leur donnait leur chance.

On dit souvant que le Brésil est une démocratie raciale. Et comme beaucoup d'autres choses qui sont souvent dites au Brésil, personne ne le prend très au sérieux. La seule chose qu'on peut dire au sujet de problèmes raciaux au Brésil est qu'ils sont différents de ceux de l'Amérique, surtout parce que le Brésil et son histoire sont différentes de l'Amérique et de son histoire. Les Brésiliens ont tendance à considérer la race (Raça) comme une question de couleur, et les variations subtiles dans les tons de couleur, plutôt que l'appartenance ethnique ou à l'héritage génétique. (Ils prêtent également attention à la frisure des cheveux et l'épaisseur des lèvres). En théorie, cela fait une différence. Dans la pratique, la différence est faible. En Amérique, les "noirs" en tant que groupe ont moins que les "blancs". Au Brésil, les gens les plus sombre en tant que groupe ont moins que les plus clairs.

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Une famille sans toit

Une famille de Brésiliens sans-abri, récemment arrivé de Bahia, avait décidé de camper sous ma fenêtre au deuxième étage au n° 23 Rua Raul Pompeia. Ils étaient là tous les soirs pendant deux semaines. Je leur donnais quelques reais quand je rentrais le soir, des chemises de rechange lors nuits fraîches et du pain, des fruits ou de l'eau quand je pouvais. J'avais amené quatre coûteux harmonicas diatoniques du Japon pour offrir en cadeau. Le Bluesman American Junior Wells à évité la vie statistiquement typique d'un jeune homme dans les centres urbains de l'Amérique en ayant reçu un harmonica en cadeau d'un juge bienveillant (Junior avait été attrapé en train de voler car il n'avait pas assez d'argent pour en acheter un.) J'imaginais déjà mon voisins sans-abri du dessous former un groupe et gagner un revenu honnête en jouant des mélodies de samba sur une plage ou au coin d'une rue. Ils étaient fascinés par le son de l'harmonica quand j'ai joué quelques riffs de Little Walter comme "Juke" et "Off the Wall". Je leur ai donné les quatre harmonicas. Ils se les disputèrent entre eux et passèrent ensuite une dizaine de minutes à souffler dedans puis subitement perdirent tout intérêt pour l'instrument (comme la plupart des peuples du monde entier qui tentent d'apprendre à jouer d'un instrument de musique).

Finalement, ils ont commencé à se sentir trop à l'aise, en restant éveillés très tard et se chamaillant sur une chose ou une autre. D'autres sans-abri venaient leur rendre visite, certains avec des bouteilles de cachaça, et de temps en temps un ou deux des plus aisés enfants du voisinage local aussi, eux semblaient par contre préférer les chiffons imbibés de diluant à peinture. Une nuit, quelqu'un versa un seau d'eau sur eux de l'un des appartements au-dessus du mien. Le lendemain, ils déménagèrent quelques pâtés de maisons plus loin, vers Ipanema, en face du supermarché Zona Sul.

Les résidents ne veulent pas être trop incommodés, mais ils ne sont pas insensible et offrent parfois des boîtes pleines de vêtements ou de nourriture aux sans-abri. (Généralement il prennent leur voiture et vont distribuer dans d'autres quartiers que le leur, sans doute pour éviter de fournir une incitation pour les sans-abri en place de rester, et à de nouveaux sans-abri de venir s'installer dans leurs quartiers.) Peut-être veulent ils juste se débarasser de choses dont ils ont plus besoin, mais quand même, ça aide. Les Brésiliens sont réalistes. Ils ne croient pas que n'importe qui peut réussir ce qu'il veut dans la vie, uniquement grace a sa volonté et la force de son esprit. Certaines choses ne sont pas sous contrôle humain. Les pauvres sont pauvres à cause de qui étaient leurs parents, ce qui a été déterminé par Dieu, non pas par quoi que ce soit qu'ils aient eux-mêmes fait, pas fait, auraient pu faire, ou pourraient faire. Les choses sont comme ca. Les pauvres ne sont pas pauvres parce qu'ils ont des défauts de caractère (tels que la paresse ou l'incapacité à obtenir un diplome) ou parce qu'ils ont fait quelque chose de mal dans une vie antérieure. Ils ne méritent pas d'être pauvre. Ils le sont tout simplement.



La réponse

Zoca pensait avoir la réponse: "Plus d'éducation." Bien sûr, cela exige de meilleures installations et des enseignants, ce qui coûte de l'argent. Et d'où viendra l'argent? Les pauvres n'en ont pas, évidemment. La réponse est évidente. Étant donné que les pauvres ne peuvent pas payer, les gens riches n'ont qu'a le faire. Puisque le problème et la solution sont si évidents, pourquoi la solution n'a-t-elle pas été mise en œuvre, et le problème ainsi résolu? Parce que, m'explique Zoca, bien que les Brésiliens riches paient de lourds impôts, mais l'argent va à d'autres Brésiliens riches, ou même revient dans leurs propres poches sous forme de subventions et de loyers. Très peu de cet argent aide les 87 à 90% des 164 millions de Brésiliens qui ont besoin de l'aide. Je me doutais que la fraude fiscale et la corruption politique ne font pas beaucoup pour aider les pauvres du Brésil. Mais je me demandais si dépenser beaucoup d'argent pour l'éducation permettrait de faire mieux que de produire un grand nombre de bien-instruits chômeurs, qui peut-être eux ne se satisferaient pas de la plage, du carnaval, de la samba, du beau temps et des belles vues de la ville.

Zoca s'entraîne encore, mais ne fais plus de compétition. "La compétition c'est bien, mais ce n'est pas tout. Tout le monde ne ressent pas le besoin de participer." Un moment, il m'invita à m'entraîner. A ce moment nous n'étions pas n'importe où, mais justement à coté d'une académie, cela traduisit bien une certaine façon de penser. Les gars du jiu-jitsu supposent que si vous êtes intéressé par le jiu-jitsu, vous souhaitez forcement tourner. Pour eux, le jiu-jitsu sans tourner n'est pas le jiu-jitsu. Et c'est précisément pour cette raison, comme quelqu'un l'a déjà dit, le jiu-jitsu règne encore.

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